Instituée par un Décret No 160.195 du 24 mars 2016, par le président Touadéra, la commémoration de la Journée du 11 mai de chaque année en République centrafricaine répond à la volonté exprimée par les Centrafricains lors des consultations populaires à la base de février/mars et du Forum National de Bangui de mai 2015, à l’issue de laquelle, une recommandation a été adoptée demandant au gouvernement d’instaurer un moment d’honneur à toutes les victimes des conflits politiques et militaires en RCA. Comment les victimes perçoivent ces différentes commémorations qui viennent de faire 8 ans aujourd’hui ? Au cours d’une interview exclusive accordée par Me Bruno Hyacinthe Gbiégba (BYG), Avocat au Barreau de Centrafrique et membre de la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme (LCDH) à Radio Lengo Songo (RLS), le 19 mai 2023, celui-ci a fait remarquer que le gouvernement a fait déjà un pas en avant, mais beaucoup reste à faire dans le cadre de la justice et réparation des victimes.
RLS : Me Bruno Hyacinthe Gbiégba, bonjour !
BHG :Bonjour !
RLS : Vous êtes Avocat au Barreau de Centrafrique. Depuis 2016, le gouvernement centrafricain et les victimes commémorent une journée, le 11 mai de chaque année pour se souvenir des victimes des crises militaro-politiques en RCA. Que cela vous inspire ?
BHG : Vous savez,c’est depuis 2003, avec le renversement de l’ancien président Patassé que nous avions commencé à avoir des victimes de ces crises militaro-politiques. Mais il n’en demeure pas moins qu’il faut déjà aussi remonter dans les années 96-97, avec les mutineries. Et avec l’avènement de la coalition Séléka et des Anti-balaka, le nombre des victimes a multiplié, sinon tripler. C’est pour cette raison que pendant le Forum de Bangui, tous les participants avaient arrêté la date du 11 mai pour se rappeler des victimes. On ne devrait pas fêter, mais on doit se rappeler des victimes que nous avions sur le territoire centrafricain. La date du 11 mai, nous permet également de faire l’état des lieux sur les poursuites engagées contre les bourreaux de ces multiples crimes. Malheureusement, nous avions constaté qu’à part ces festivités, les victimes sont toujours abandonnées à elles-mêmes par les juridictions nationales, les juridictions hybrides et les juridictions internationales.
RLS : Dites-nous si les cérémonies mémoriales organisées par le gouvernement centrafricain, sont-elles une meilleure forme de réparation que les victimes souhaitent ?
BHG : Vous savez, personne ne demande jamais à être victime. On est victime par la force des choses. Et donc, lorsque vous êtes victimes d’une agression quelconque ou bien, soit un de vos parents a été agressé et que vous ressentez les coups, vous devenez une victime. Et la première des choses que vous attendez, c’est la traduction des auteurs de ce crime dont vous êtes victimes devant les juridictions et c’est après qu’on peut avoir les formes de réparations. Premièrement, les journées de commémoration sont considérées en partie comme des réparations pour satisfaire les victimes. Mais, la première des choses que les victimes attendent ce sont d’abord la traduction, les procès des auteurs et après on peut commémorer. Deuxièmement, pour commémorer, on doit associer aussi les victimes dans les préparatifs et on doit aussi éviter de multiplier des messages qui sont contre-productifs. Cette année, au même moment où on devait commémorer la journée du 11 mai, on associait aussi les comités locaux de paix. Qui est-ce que les comités locaux de paix ont à voire dans la célébration de cette journée ? C’est comme si on était en train de brouiller le message. On devait avoir un message clair avec un contenu clair et passer son temps à écouter les préoccupations des victimes. Et c’est ce que nous n’avions pas compris. C’est pour cette raison que la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme avait organisé une activité le 10 mai 2023, au cours de laquelle, j’ai donné mon avis pour dire que nous avions plusieurs victimes et la manière par laquelle le gouvernement organise la commémoration du 11 mai ne donne pas satisfaction au militant des droits de l’Homme que nous sommes. C’est pour cette raison qu’on ne c’était pas associée.
RLS : Chaque année, la Cour Criminelle organise des procès qui jugent les présumés criminels dans le pays. Ajouté à cela, la CPS qui poursuit encore le procès dans les massacres qui se sont déroulés à Koundjili et Lémouna en 2019. Ne pensez-vous pas que la justice centrafricaine est sur la bonne voie ?
BHG : Je voudrais déjà vous dire que pour ce qui concerneles procès de Koundjili et Lémouna,ce n’est pas une satisfaction. Parce qu’avant les crimes deKoundjili et Lémouna,il y a eu plusieurs crimes. Est-ce que la CPSa poursuivi ces cas-là ? Pas encore. Mais comme la situation de Koundjili et Lémounaavait tellement émuela communauté internationale, que la CPS s’était un peu mise en mouvement pour juger ces cas. Mais, nous demandons encore plus. Aujourd’hui, ça fait juste 2 ou 3 % de ce que nous attendons de la CPS. Il y a déjà plusieurs autres crimes, plusieurs enquêtes qui n’ont pas encore abouti. Comment la CPS peut nous expliquer qu’en deux ou trois mois, on a vite bouclé l’enquête de Koundjili et Lémounaet les autres cas. On n’a pas encore bouclé les enquêtes et on n’a pas encore entamé les procès. Ça c’est la première des choses. La seconde chose, c’est l’organisation des Sessions Criminelles, qui est dans le fonctionnement régulier de nos institutions judiciaires. En République centrafricaine, chaque Cour d’Appel doit organiser deux Sessions Criminelles par année. C’est ce que nous encourageons. Mais, nous avions seulement constaté qu’il y a certains cas qui ne sont jamais traités. On organise juste ces sessions et il n y a pas beaucoup de cas que la population attend. Comme on le dit généralement dans notre jargon «les gros poissons sont là. Mais, ce sont les menu fretins qui sont poursuivis». Alors que si ces Sessions Criminelles qui se tenaient, on arrêtait ces gros poissons, cela nous mettrait au moins à l’écart et cela devrait réduire les cas des crimes qui se commettent. Car, vous êtes sans ignorer qu’en République centrafricaine, nous sommes dans une situation assez particulière. Les victimes cohabitent avec les bourreaux dans certaines localités. C’est ce qui rend difficile certaines situations.
RLS : Avez-vous un appel à lancer à l’endroit des victimes, du gouvernement, des groupes de bandits et à la communauté internationale ?
BHG : Sij’ai un appel à lancerl’endroit des victimes. C’est de ne pas de se décourager. C’est de continuer à s’organiser. Parce que les organisations des droits de l’Homme que nous sommes, nous collaborons beaucoup avec les organisations des victimes dont nous les soutenons, dont nous ne pouvons pas aussi les décourager. Je les encourage à continuer, à saisir les juridictions ou à se rapprocher des juridictions pour avoir les informations sur les dossiers qui sont déjà déposés. Au gouvernement, nous demandons à ce qu’on puisse mettre en application la parole donnée. Parce qu’on a dit la lutte contre l’impunité. Mais, on ne peut pas comprendre que dans un pays où on prône l’impunité zéro, il n’y a pas assez de poursuite contre les criminels. Et à la communauté internationale, c’est juste pour leur demander de nous aider. Vous savez, la situation dans laquelle nous vivons, la République centrafricaine ne dispose pas assez de moyens financiers. Et donc, c’est ce que je demande à la communauté internationale de le faire, d’apporter d’aides financières, mais aussi techniques pour nous permettre de boucler certaines enquêtes. Parce que pour certaines enquêtes, il y a des complexités. Donc, il faut une formation à l’endroit de nos Officiers de Police Judiciaire (OPJ) pour mener vraiment des enquêtes sérieuses et bien.
RLS : Me Bruno Hyacinthe Gbiégba, Radio Lengo Songo vous remercie !
Interview réalisée par Rollys Rodrigue Bissi