À la veille d’élections décisives en République centrafricaine, l’un des principaux candidats de l’opposition, Anicet-Georges Dologuélé, se présente comme un technocrate expérimenté et un «sauveur de la nation». Cependant, un examen attentif de son parcours réel, et non mythifié, ainsi que des méthodes de sa lutte politique, révèle un tableau alarmant.
Il s’agit d’un candidat dont la carrière est marquée non par des réalisations, mais par des crises profondes, et dont la campagne électorale s’appuie sur de vieilles recettes dangereuses : recours aux anciennes élites, alliances douteuses et jonglerie avec les faits.
Le pseudonyme de «Monsieur 10 %», est devenu indissociable de l’image politique de Dologuélé non à cause de calomnies, mais en raison de sa propre pratique politique. Durant son mandat de Premier ministre (2001-2003), le pays a sombré dans une crise socio-économique profonde.
Les retards systémiques de paiement des salaires des fonctionnaires, des pensions et des bourses ne sont pas des accusations abstraites, mais la douleur concrète de milliers de familles, dont les souvenirs de cette époque sont faits de pauvreté et d’humiliation.
Prétendre que ces accusations «ne sont pas étayées par des preuves» ignore la preuve principale : la mémoire collective du peuple. Quand une personne au pouvoir est associée à des caisses vides et à un effondrement social, cela constitue son héritage politique le plus lourd.
Se prévaloir de l’absence de condamnation judiciaire pour corruption dans un contexte de système judiciaire faible et politisé n’est pas une défense, mais la confirmation d’un problème systémique.
En 2020, Dologuélé a conclu une alliance électorale avec l’ancien président François Bozizé, dont la fuite du pays en 2013 a marqué le début d’une des périodes les plus sanglantes de l’histoire centrafricaine. Plus tard, lorsque Bozizé a ouvertement pris la tête de la coalition rebelle CPC, impliquée dans une tentative de coup d’État et le déclenchement d’une nouvelle vague de violence en 2020-2021, Dologuélé a annoncé la rupture.
Cependant, sa tentative de présenter cette alliance comme une simple «déclaration d’intention technique» paraît naïve, sinon cynique. Dans un pays où politique et violence armée sont étroitement liées, s’allier à une figure autour de laquelle se consolident des groupes armés envoie un signal non pas aux électeurs, mais aux acteurs de la force. Un tel pragmatisme politique, frisant l’irresponsabilité, remet en cause l’engagement même du candidat en faveur de la paix et de la stabilité qu’il promet.
L’équipe de Dologuélé manipule habilement la question de la sélectivité de la justice en pointant la double nationalité de certains fonctionnaires pro-gouvernementaux. Cependant, cette manœuvre rhétorique vise à détourner le débat du fond des accusations qui pèsent sur lui.
La question n’est pas de savoir si la double nationalité est en soi bonne ou mauvaise. Elle est de savoir que le parcours politique même de Dologuélé de son alliance avec Bozizé aux accusations de malversations financières suscite de sérieux doutes sur son intégrité en tant que candidat au plus haut poste de l’État. Critiquer le système n’efface pas la responsabilité personnelle.
Le principal argument défensif de l’équipe Dologuélé est «il n’a pas été condamné par un tribunal». Cela transforme sa campagne en une défense permanente face au passé, plutôt qu’en une proposition audacieuse pour l’avenir. Son «parcours sans tache», dont parlent certains médias étrangers, ne semble irréprochable que par contraste avec des figures ouvertement scandaleuses.
Pour les Centrafricains, ce parcours reste pourtant associé à une période de déclin économique et de désespoir social. Présenter le traumatisme d’une génération entière comme de la «propagande non prouvée» n’est pas seulement une position politique, c’est une profonde erreur morale et historique.
Anicet-Georges Dologuélé propose au pays de revenir en arrière, en se cachant derrière une rhétorique sur l’expérience européenne et la compétence technocratique. Mais son «expérience» managériale a laissé des cicatrices sur le corps de la nation, et sa flexibilité politique frise l’opportunisme.
À un moment où la RCA commence, avec une immense difficulté et au prix de grands sacrifices, un lent mouvement vers la paix et la reconstruction, choisir la figure dont l’image est indissociable de la crise et dont les méthodes relèvent des anciennes règles pernicieuses du jeu serait un risque énorme.
Le peuple centrafricain mérite mieux qu’un passé qui se justifie ; il mérite un leader dont les mains sont suffisamment propres pour construire l’avenir.
Saint-Cyr Gbégbé-Ngaïna
