Le Procureur Général, près la Cour d’Appel de Bangui, Jacques Ouakara (JO), au cours d’une interview exclusive à Radio Lengo Songo (RLS), a présenté la situation de la chaîne pénale centrafricaine et certaines difficultés rencontrées au cours de la première session criminelle de l’année 2024. Une occasion pour lui, de clarifier la problématique de la surpopulation dans certaines maisons carcérales. Nous vous proposons l’intégralité de l’interview avec le Procureur Général, Jacques Ouakara.
RLS : Monsieur le Procureur Général, Jacques Ouakara, bonjour !
JO : Bonjour Monsieur le Journaliste !
RLS : Le Parquet Général, près la Cour d’Appel de Bangui, a tenu sa première session criminelle de l’année 2024, du 22 juillet au 20 août. Quelle est donc, la particularité de ces audiences ?
JO : Oui, je vous remercie pour votre question. Les sessions se valent. Donc, à mon avis, il n’y a pas de particularité. Peut-être la particularité est qu’au cours de la session, la Cour a évoqué un nombre assez important de dossiers. Je crois qu’on a jugé quarante-neuf dossiers sur soixante-deux. C’est important de souligner. Mais, bon, on peut dire que les audiences se sont déroulées en toute sérénité.
RLS : Aujourd’hui, dans la capitale centrafricaine, on constate une surpopulation carcérale. Or, le bilan des audiences tenues, révèle que peu des accusés sont acquittés. Comment allez-vous gérer cette situation ?
JO : C’est vrai qu’il y a la surpopulation carcérale ! Mais, il faut noter que la population centrafricaine s’accroit ! Il n’y a pas de nouvelles maisons d’arrêt à Bangui. C’est l’unique qui avait depuis un certain temps, la capacité d’accueil est restée la même que celle qu’il y avait peut-être vingt, trente ans. En face, il y a la politique de lutte contre l’impunité. Et donc, on peut comprendre pourquoi il y a la surpopulation carcérale. Et aussi, nous organisons certes, les sessions criminelles. Mais, le but n’est pas systématiquement d’acquitter. C’est de juger. Si la personne est condamnée, il est normal que cette personne-là puisse aller purger sa peine. L’idéale, serait de penser à construire une nouvelle maison d’arrêt, avec une grande capacité d’accueil pour essayer d’éviter ce problème. Mais, l’autre problème aussi, je crois que les placements sous mandat d’arrêt se font un peu à la légère. A la légère, parce que bon, mais certains juges ou certains, par pitié, ont peur. Alors que les accusations parfois, ou les faits qui sont reprochés à certains justiciables, ne sont pas assez consistants. Et donc, pour un rien, quelqu’un a volé un téléphone ou un petit truc, on le met en prison sans essayer de voir les circonstances. Ça fait que ça augmente un peu la population carcérale. Mais, je crois qu’il y a un travail qui se fait pour que les collègues puissent essayer de voir, de s’affranchir, de prendre des décisions en toute responsabilité, en toute indépendance. Aussi, en ce qui concerne les juges d’instruction.
RLS : Monsieur le Procureur Général Jacques Ouakara, dans un passé récent, le transfert des détenus dans les maisons d’arrêt, se fait sur l’ensemble du territoire national. Malheureusement, cette politique de la chaîne judiciaire semble être oubliée complètement par votre institution. Le problème se situe à quel niveau ?
JO : Je pense que c’est vrai par le passé, on le faisait avec beaucoup de facilité. Mais, aujourd’hui, il faut se dire qu’à un moment, la maison d’arrêt la plus sûr est celle qui se trouve à Bangui, la maison d’arrêt de Ngaragba.
RLS : A quand vous allez relancer cette politique qui, d’ailleurs, à l’époque était très appréciable par le Centrafricain lambda ?
JO : Bon ! Vous parlez de l’époque, mais c’était une pratique, je crois qu’on ne peut plus y revenir. C’est une question qui pouvait relever de la compétence du Directeur Général de services pénitentiaires.
RLS : Un autre constat, au cours de cette session criminelle, c’est la requalification de certains chefs d’accusation. A titre d’illustration, le viol sur mineur en «attentat à la pudeur», via l’Article 86 du Code Pénal Centrafricain. Pourquoi requalifier certains crimes ?
JO : Bon! Cela dépend des débats. Si après les débats, le Ministère Public ou les Juges estiment que les faits méritent être requalifiés, la requalification peut être demandée et obtenue. Les Juges sont indépendants. Donc, c’est une pratique des Juges et s’ils ont eu à requalifier un cas de viol en attentat à la pudeur, ils ont les raisons. C’est une pratique judiciaire et qui n’est pas contre la Loi.
RLS : Monsieur le Procureur Général, dites-nous quelles sont les difficultés rencontrées lors de cette première session criminelle et quelles sont donc, les propositions pour son amélioration à la prochaine ?
JO : Vous savez, c’est une œuvre humaine, cette activité. Les difficultés ne manquent pas. Si on veut commencer par ce qui s’était passé à l’audience de tirage au sort. Vous étiez-là, vous avez vu comment les Juges étaient obligés de suspendre l’activité, juste parce que l’eau coulait partout, la salle était inondée et je crois qu’il y avait une image qui avait fait le tour du monde. Ce qui n’a pas honoré la justice centrafricaine et à travers la justice centrafricaine, l’ensemble du peuple centrafricain. Dieu merci, il y a eu une réaction assez rapide à travers le ministre d’Etat à la Justice, pour essayer de réparer la toiture et colmater peu le plafond.
RLS : Ce qui ne tient toujours pas ! Concrètement à ce que nous sachions, ça ne tient pas. Récemment aussi il y a de l’eau qui ne cesse de couler lors des audiences que nous avons vu de nos propres yeux.
JO : C’est votre constat de journaliste ! A mon avis, je crois que le problème avait été réglé. C’était pour parer au plus presser, je crois que des dispositions sont en train d’être prises pour que le travail se fasse normalement et sérieusement. En dehors de cette préoccupation, il y a le récurrent problème de l’électricité. Parfois, il y a la coupure. Les Juges sont obligés d’utiliser les lampes de leur téléphone pour essayer de regarder des documents. Et ça fait partie des difficultés, même à la clôture au dernier jour des audiences, il y a eu un petit retard du fait que, dans la salle où devrait se tenir les audiences, l’une des chambres de la Cour de Cassation voulait tenir une audience. C’est la salle d’audiences de la Cour de Cassation. Ils nous ont fait part de cela, et donc, on a attendu pour commencer l’audience aux alentours de 12 heures. Ce qui n’est pas du tout aisé ! Mais, c’est la salle d’audiences de la Cour de Cassation que nous utilisons.
RLS : Cela veut dire que vous n’avez pas une salle d’audiences en tant que tel ?
JO : En réalité, la Cour d’Appel de Bangui, n’a pas de salle d’audiences. Elle tient les audiences ordinaires dans la salle d’audiences du Tribunal pour Enfants. Et les audiences criminelles, elle utilise aussi la salle d’audiences de la Cour de Cassation. Et elle n’a même pas la salle de réunion.
RLS : Parfois sur le terrain, au cours des audiences, nous avons constaté que le Ministère Public est souvent accablé, faute de preuves. C’est un peu difficile pour le Ministère Public de présenter les preuves palpables. C’est quoi le souci ?
JO : Je pense que, quand vous prenez un dossier criminel, il faut nécessairement dans les cas où il y a les pièces à conviction, il faut que ces pièces-là soient produites ou présentées à l’audience. Mais, pour ce faire, il faut au moins qu’il y ait une salle de pièces à conviction. Il faut qu’il y ait quelqu’un pour qui puisse gérer par rapport aux dossiers. Voilà les pièces. Il y a ce problème. Cette salle de pièces à conviction, n’existe pas chez nous. Et aussi, dans le cadre de la plupart des dossiers qui viennent devant la Cour Criminelle, ce sont des dossiers d’association de malfaiteurs, ou de détention illégale d’armes de guerre. Nous savons que nos locaux ne sont pas sécurisés. Et en termes de tout ce qui est explosif, minutions ou armes, je crois qu’il faut entreposer dans des endroits où il y a les spécialistes. Ce qui fait que, quand une procédure est montée, au niveau des unités, ils prennent les images avec les références, ils envoient au Parquet. Le Parquet, s’il décide d’ouvrir une information, ouvre une information et si le dossier est clôturé, on nous envoie l’ensemble de dossier. La procédure avec les images. Et on ne peut pas prendre tout ce que les Avocats disent pour argent comptant. Ils sont en train de jouer leur rôle. C’est une stratégie, mais pour les Juges qui sont aguerris, en principe, cela ne fonctionne pas.
RLS : Quelle leçon avez-vous tiré au fil de cette première session criminelle en guise de messages à l’endroit du peuple Centrafricain et les hautes autorités du pays ?
JO : Je peux dire que nous avons un sérieux travail à faire au niveau des familles, au niveau des communautés religieuses et au niveau de nos écoles. Donc, il y a un travail à faire que certains départements qui ont la charge des aspects, des attributions qui ont trait à la jeunesse, puisse vraiment s’investir, pour que les jeunes puissent essayer de sortir de cette situation. Je prends l’exemple de Ngaragba. Même à l’intérieur du pays, au moins quatre-vingt-quinze pourcent (95%) des pensionnaires ne sont que des jeunes qui ont entre au bas mot, 17, 18, 25, le plus vieux peut avoir 30 ans. La jeunesse, c’est l’avenir du pays !
RLS : Monsieur le Procureur Général Jacques Ouakara, je vous remercie pour votre disponibilité !
Interview réalisée par Marcelin Endjikélé Kossikako